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Au fil des années dans le secteur bancaire, j’ai profondément compris que la richesse d’un individu ne peut être jugée uniquement sur la base de son apparence. En effet, les apparences, trompeuses dans une société qui les valorise, vont bien au-delà d’un simple proverbe ; elles représentent une réalité palpable que je vivais au quotidien.

Derrière l’apparence chic de Hamza

Les premiers mois de ma formation dans la fonction de conseiller financier se sont souvent articulés autour du remplacement de conseillers en vacances. Dans ce contexte, un remplacement en particulier m’a laissé des souvenirs marquants. J’y ai rencontré un jeune homme du nom de Hamza, dans la fin de la vingtaine. Il arborait une apparence soignée avec un costume noir, une belle chemise blanche, et un iPhone 4 qui sonnait sans cesse. Il semblait être très sollicité, laissant présager qu’il occupait une fonction importante. En essayant de deviner son occupation, j’hésitais entre directeur d’une grande multinationale ou entrepreneur à succès.

Proposant mon assistance, Hamza exprime cependant le besoin de rencontrer spécifiquement le directeur de la succursale. Je me dis qu’il s’agit probablement d’une affaire délicate nécessitant une attention de haut niveau. Informant le directeur, celui-ci, grâce aux caméras de surveillance, observe Hamza et me demande de le faire patienter. Il n’était clairement pas pressé de l’accueillir.

Le jeune manifeste son impatience, après une vingtaine de minutes d’attente. Il réclame de manière pressante une rencontre avec le directeur en raison de contraintes de temps. Embarrassé, je refais part de la situation au directeur qui finit par accepter de le recevoir. Pendant cette rencontre, perturbé par ma présence, Hamza explique son besoin urgent d’une avance salariale. Le directeur lui rappelle qu’il a déjà reçu une avance de 500 DH la semaine précédente.

C’est lors de cette journée que j’ai découvert le concept d’avance sur salaire proposée par la banque. Traditionnellement, l’avance sur salaire est accordée par l’employeur. Dans le cas contraire, la banque peut mettre en place un découvert basé sur le salaire de la personne. Cependant, les directeurs de banque au Maroc ont la faculté de faire tomber un compte en négatif, même en l’absence d’une ligne de crédit ou de découvert. C’est ce que les clients appellent l’avance. Cette capacité place les directeurs de banque dans une position de force, mais peut également les mettre dans des situations délicates.

Avant de répondre favorablement à la demande de Hamza, le directeur consulte son compte et lui rappelle que son salaire ne permet pas d’octroyer autant d’avance. Le jeune homme le supplie, et le directeur ajoute : « Arrête les sorties nocturnes et vis selon tes moyens, cher ami, c’est la dernière fois. Ramène ta fiche de paie et fais une demande en bonne et due forme pour une ligne de découvert de 1000 DH. Comme ça, tout le monde reste tranquille, s’il te plaît ».

C’était un moment très malaisant pour moi et pour Hamza, qui se voyait donner cette leçon de morale. Le directeur demande par téléphone à l’agent de caisse de remettre 500 DH à Hamza. Je l’accompagne au comptoir. Hamza me glisse : ‘C’est un homme généreux, ce directeur, et il est de bonne famille’ (en dialecte marocain : wald lkhir had lmodire, sskhye o wald nass). Il était beaucoup plus décontracté, abandonnant son apparence d’homme d’affaires pour se fondre dans celle d’une personne ordinaire.

Cette conversation m’a laissé avec des interrogations majeures sur l’occupation de Hamza et sur son revenu. Par curiosité, j’ai accédé à son compte pour découvrir qu’il était représentant commercial dans une compagnie de télécommunication. La surprise fut grande en constatant qu’il avait un salaire modeste (2300 DH) malgré son allure chic. Le jeune semble probablement investir l’ensemble de son revenu dans son apparence.

Entre apparence et fortune du Haj 

Le lendemain, alors que je suis installé à mon bureau, un homme d’environ quatre-vingt ans frappe à ma porte, cherchant mon collègue, agent de la caisse. Je lui fais savoir qu’il est probablement en train de déjeuner, mais que je suis là pour l’assister. Il exprime le désir de déposer des chèques sur son compte.

À l’époque, la procédure de dépôt des chèques se faisait manuellement. Je lui propose de me suivre jusqu’au comptoir. C’est à ce moment que je remarque son style vestimentaire : une vieille djellaba marron et des sandales modestes, témoignent de l’usure du quotidien. Son visage, marqué par les rides et le soleil, révèle une sagesse acquise au fil du temps. Son accent berbère me rappelle des proches du côté maternel. Une connexion immédiate s’établit, et malgré nos différences générationnelles et professionnelles, j’ai eu l’impression que nous nous connaissions depuis longtemps.

Je lui demande : « Haj, donnez-moi les chèques que vous souhaitez déposer. » Il les place sur le comptoir, et à ma grande surprise, je constate que les trois chèques affichent des montants à six chiffres. Intrigué, je lui demande son numéro de compte, qu’il me remet, inscrit sur un vieux morceau de papier. J’appose le tampon sur le bordereau et lui remets une copie.

Avant de partir, il me demande le solde de son compte, une action que j’allais de toute façon effectuer après son départ. En entrant le numéro de compte, je découvre un montant impressionnant de huit chiffres. J’en suis resté à la fois bouche bée et agréablement surpris. Je lui donne le montant qu’il inscrit sur son bout de papier. Il me demande si des chèques ont déjà été crédités. Après vérification, je réponds par l’affirmative. J’ai alors compris qu’il s’agissait d’un propriétaire de quelques supermarchés situés dans le coin. Un millionnaire qui ne laissait aucun signe apparent de sa richesse. Il me demande de passer le voir et que je serai la bienvenue en tout temps (en dialecte marocain, mer7ba bik a weldi f ay wa9te).

La première leçon, extraite de ma rencontre avec Hamza, met en lumière la capacité d’une apparence élégante à dissimuler une réalité financière tout à fait différente. La seconde leçon, avec le vieux monsieur aux allures modestes, souligne l’importance de ne pas sous-estimer la richesse potentielle d’une personne en se basant uniquement sur son apparence extérieure. Ces expériences ont consolidé ma compréhension de la diversité des situations financières et ont instillé en moi la valeur fondamentale d’approcher chaque client avec équité.