Voyage visuel à travers le temps

Récemment, je me suis adonné à l’organisation et au transfert de photos prises lors d’un récent voyage sur mon disque dur. Au cours de cette activité, je suis tombé sur mes archives photographiques, plus précisément un dossier intitulé « Enfance ». Une envie irrésistible de revisiter certains souvenirs enfouis s’est emparée de moi. J’ai ouvert une première photo et j’ai commencé à faire défiler les images à l’aide de la flèche de mon clavier. 

Imprégné de nostalgie, mon attention a été particulièrement captivée par une photo prise au début des années 90. Je me suis arrêté sur cette image, où je posais fièrement vêtu de mon kimono de karaté et ma ceinture bleue soigneusement attachée. 

Plongé dans ces souvenirs d’enfance, le cliché de ma jeunesse karatéka m’a fait voyager dans le temps. Cette photo a ravivé des sentiments liés à mes années primaires dédiées au karaté. Cette nostalgie a également ouvert la porte à une autre facette de mon histoire avec cette discipline. 

Évolution d’un karatéka

En repensant à ces années, d’autres souvenirs ont émergé. En 2e ou 3e année du primaire, en fin de journée, mes amis attendaient avec impatience le son de la cloche. Ils étaient ravis que la semaine se termine et prévoyaient déjà les jeux et les divertissements qui les attendaient une fois chez eux. Le lendemain n’étant que samedi, il n’y avait aucun stress lié aux devoirs. 

Pour ma part, je devais rentrer vite chez moi, mais pour une raison bien différente. Il fallait me dépêcher pour récupérer mes affaires et partir au cours de karaté. Le gymnase où mon frère et moi étions inscrits, depuis au moins deux ans, était situé loin de chez nous. Notre père nous y conduisait en voiture après le travail, trois fois par semaine : lundis, mercredis et vendredis. 

En grandissant, j’ai pris conscience du sacrifice consenti par mon père pour nous permettre de pratiquer ce sport. Le gymnase étant éloigné de notre quartier. Mon père n’avait pas assez de temps pour rentrer chez nous se reposer avant de revenir nous chercher à la fin du cours. Il nous attendait donc patiemment dans sa voiture jusqu’à la fin de la séance. Ce dévouement n’est pas passé inaperçu, renforçant ainsi ma gratitude vis-à-vis de son engagement envers notre pratique du karaté.

La première année était empreinte d’excitation et d’un fort désir d’apprendre. Les premiers enseignements portaient sur la manière de porter le kimono et sur l’art délicat d’ajuster et d’attacher la ceinture. Celle-ci était longue et exigeait un savoir-faire particulier. Les premiers mois étaient dédiés au développement de la posture d’un karatéka, bien habillé, prêt à apprendre les techniques de base. 

L’étape suivante était caractérisée par l’apprentissage des coups de pied et de poing, ainsi que des blocages et de mouvements spécifiques. Chaque séance débutait par un échauffement, puis nous nous divisions en deux groupes. Les plus avancés travaillaient sur les katas, tandis que les débutants, comme moi, se concentraient sur les techniques de base. Mon temps était consacré à la répétition constante des mêmes mouvements tout au long de la séance. 

J’étais passionné par les coups de pied, en particulier le Mae Geri et mes entraînements ne se limitaient pas au gymnase. À la maison, dans notre salon, je répétais inlassablement les différents coups de pied appris au gym. Avec le temps, j’avais appris d’autres coups tels que le Mawashi Geri et le Yoko Geri, totalisant plus d’une dizaine. Je me vantais de mes progrès lors des rassemblements familiaux devant mes cousins, cousines, oncles et tantes. 

L’apprentissage des katas et des techniques nécessaires pour réussir les examens de ceinture ont été introduits à mes apprentissages de manière assez rapide. C’est ainsi que j’ai obtenu ma ceinture jaune et orange dès la première année. Au fil du temps, mon développement s’est intensifié, et j’ai pu exécuter les mouvements avec une précision croissante. Chaque coup que je portais était accompagné d’un son distinct.

Mes années au primaire étaient marquées par la pratique assidue du karaté. Après avoir acquis toutes les ceintures possibles durant les 3 premières années, la monotonie s’est installée. La motivation a commencé à faiblir, mais mon père, souhaitant maintenir notre activité physique, continuait de nous inscrire chaque année.

Limites du karaté révélées au secondaire

La transition vers le secondaire (collège au Maroc) a marqué la fin des années au primaire, introduisant une nouvelle ère. Bien que l’école proche de chez moi ait une réputation liée à des milieux défavorisés et à l’intimidation, cette perspective ne suscitait qu’une légère inquiétude.

Parallèlement, mon engagement dans le karaté a évolué au fil du temps. Initialement une passion, il a été mis de côté au début dès ma première année au secondaire. L’intensification de la charge de travail et l’accumulation des devoirs ont fourni un prétexte pour convaincre mon père de délaisser le karaté, d’autant plus que le sport était déjà intégré dans notre programme scolaire.

La première année du secondaire, j’étais chanceux d’être dans la classe du fils du directeur. Des arrangements ont été faits pour constituer cette classe avec les meilleurs étudiants, notamment ceux provenant d’écoles privées. Cette année, à l’exception de quelques altercations verbales, je ne me suis jamais senti intimidé. 

En 2e année du secondaire, le contexte a radicalement changé. J’étais le plus jeune d’une classe constituée d’adolescents venant de milieux défavorisés et de quartiers sensibles. La majorité de de classe avait déjà échoué au moins une fois en 2e année. 

Ma carrure d’enfant contrastait avec le développement musculaire déjà bien marqué de mes camarades. J’ai vite réalisé que mes compétences en karaté ne suffiraient pas à contrer une potentielle intimidation. Cela a été même confirmé lors de petites confrontations physiques au cours desquelles j’ai fini par perdre. Les katas apprises dans mes cours de karaté étaient perçues comme une sorte de danse. 

La boxe, une potentielle nouvelle voie

Dans ma classe, il y avait un camarade au nom de Sofiane. Malgré sa petite carrure, il bénéficiait d’un grand respect parmi les élèves. J’étais le seul à le taquiner et à l’agacer de temps en temps.  Plus tard, j’ai découvert qu’il pratiquait la boxe depuis quelques années dans un club réputé du quartier de Derb Ghallef. 

J’ai tenté à plusieurs reprises de pratiquer avec lui, mais il a toujours refusé malgré mes multiples provocations. Face à mon insistance, il réagissait souvent avec un air sérieux et un regard déstabilisant. Au risque de me casser la gueule, j’avais décidé de laisser tomber.

À l’époque, je n’avais aucune connaissance approfondie de la boxe. Je connaissais cette discipline grâce à mon oncle, un fervent admirateur du boxeur Nassim Hamid. Des souvenirs me reviennent clairement de soirées passées chez ma grand-mère, où il restait éveillé pour regarder avec passion les combats de cet athlète spectaculaire. 

J’avais une forte volonté d’être respecté à l’école, de devenir un peu comme mon camarade Sofiane. Comme le karaté n’était pas un sport efficace et surtout respecté, la solution qui me paraissait la plus pertinente était de m’inscrire dans un club de boxe. Mon raisonnement le plus logique était de m’adresser à mon père, de lui parler de mon désir et de lui faire part de mon intention de m’inscrire au club de Derb Ghallef. 

La réponse de mon père était catégorique et irrévocable : c’était un non pour aujourd’hui, pour demain et pour toujours. Il avait justifié sa réponse en soulignant que la boxe était un sport dangereux, que les coups étaient dirigés vers le visage, et que les conséquences pouvaient être fatales. Il avait illustré son point de vue en évoquant le cas de Mohamed Ali et sa maladie de Parkinson. Comme il m’était impossible de négocier avec mon père, j’avais laissé tomber.

La deuxième année de secondaire n’était pas facile. Les provocations étaient fréquentes, et j’ai dû apprendre à éviter les situations qui pouvaient conduire à des altercations physiques. J’ai également dû acquérir des compétences de base en combat de rue en observant de nombreuses bagarres à l’école et sur le chemin du retour à la maison. 

La troisième année était encore plus délicate. J’étais avec la pire classe de l’école, composée d’adolescents plus âgés qui avaient une dernière chance de réussite. Rapidement, j’ai compris que sur le plan académique, j’allais me démarquer, et c’était effectivement le cas. J’ai dû exploiter cet avantage pour tisser des liens avec certains éléments turbulents de la classe pour qu’ils soient de mon bord en cas d’intimidation. En échange, je les aidais à faire leurs devoirs ou je leur fournissais des réponses pendant les examens.

Même en ayant appris quelques techniques de base du combat de rue, que je mélangeais avec le karaté, je n’avais aucune chance, même contre le plus jeune de la classe. J’avais une carrure d’enfant, tandis que la majorité avait un physique d’adulte ou presque. Pour survivre, j’ai choisi de faire profil bas, quand il le faut, face aux provocations souvent verbales, mais parfois physiques.

J’étais heureux que l’année scolaire soit terminée, anticipant ainsi le passage à la quatrième année du secondaire (première année du lycée au Maroc), synonyme de changement d’école. Je ne savais pas à ce moment que je m’apprêtais à vivre, cet été, l’une des expériences les plus traumatisantes de ma vie.